Cet outil de financiarisation avait été présenté comme un moyen de protéger l’environnement et de parer au changement climatique. Mais “The Guardian” a pu constater qu’au Zimbabwe les crédits carbone ont surtout enrichi des spéculateurs, au large détriment des populations locales.
Dans les districts bordant le lac Kariba, dans le [nord-est du] Zimbabwe, la plupart des gens sont loin de se douter que leurs villages sont au cœur d’un boom du crédit carbone qui se chiffre en millions de dollars. Ponctuées de maisons de terre coiffées de toits de chaume, les forêts de Miombo, sur les rives du gigantesque lac artificiel, abritent pour l’essentiel des petits paysans. Les pistes de gravier sont trouées de nids-de-poule ; les voitures sont rares, comme les services de santé et les connexions Internet. Les données sur la région sont fragmentaires, mais le district de Hurungwe, qui couvre la plupart des villages en question, affiche un taux de pauvreté moyen de 88 %.
Des miettes pour les populations locales
Ces villages font partie du projet Kariba, un lucratif projet XXL qui couvre une région faisant quasiment la taille de Porto Rico [13 791 km²]. C’est l’un des plus importants d’un éventail de programmes de compensation carbone ayant reçu l’imprimatur de Verra, le principal organisme de certification du globe.
Depuis 2011, ce projet a généré plus de 100 millions d’euros de revenus à lui seul grâce à la vente, à des entreprises occidentales, de crédits carbone équivalents aux émissions nationales du Kenya en 2022, selon des chiffres rendus publics (mais effacés depuis) par le porteur de projet.
Pour leurs défenseurs, ces projets sont un moyen rapide de transférer vers les pays en développement des milliards de dollars de financements grâce aux entreprises qui s’engagent à atteindre la “neutralité carbone”.
Or, une dizaine d’années après le lancement du projet, de nombreux habitants attendent toujours les projets et les infrastructures annoncés. Seule une fraction des 100 millions d’euros a été réellement redistribuée aux villages bénéficiaires du mécanisme.
“Il faut pourtant bien qu’on reçoive quelque chose en échange”, grince Rogers Kavura, 46 ans, qui vit dans le village de Chikova, dans le district de Hurungwe, et qui est devenu garde forestier grâce à un financement du projet de compensation carbone :
“Il paraît que l’entreprise empoche des fortunes, mais on ne sait pas où va cet argent. Les villageois se plaignent de ne pas en voir la couleur.”
South Pole, l’intermédiaire et référent technique du projet, s’en est retiré en octobre 2023 en expliquant qu’il était résolu à tirer les enseignements de cette expérience. Cette décision faisait suite aux révélations [du collectif de journalistes d’investigation] Follow the Money, [du quotidien allemand] Die Zeit et du [magazine américain] The New Yorker, qui mettaient en cause la transparence financière de l’entreprise et rapportaient l’existence de chasses aux trophées clandestines dans la zone concernée par le projet.
Surproduction de crédits
De quoi plonger les villages et les forêts de Kariba dans l’incertitude. Après un an de polémiques, le marché du carbone […]
De : Patrick Greenfield and Nyasha Chingono
Voir la suite de l’article original du média The Guardian, traduit par Courrier International